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La Grèce pendant la Seconde Guerre Mondiale
Invasion - Occupation - Résistance - Ordre de représailles - Elimination des juifs - Mesures de rétorsion - Collaboration - Retraite

Il y a 63 ans aujourd'hui, le 28 octobre 1940, l'armée italienne a envahi la Grèce depuis l'Albanie. Le dictateur italien Benito Mussolini a lâché la bride à ses troupes sans la moindre nécessité, sans la moindre contrainte même. Cette guerre devait être le début de la fin d'un long processus de frustration que le « Duce » avait subi depuis l'entrée de son pays dans la Seconde Guerre Mondiale. En effet, alors que les armées d'Hitler allaient de victoire en victoire, les troupes italiennes n'avaient rencontré le succès ni lors de leur attaque contre une France déjà vaincue, ni en Afrique de l'Est, ni contre l'Egypte. Lorsque Mussolini apprît au début octobre 1940 qu'Hitler avait le projet d'envoyer des troupes en instruction en Roumanie, entrant ainsi dans sa sphère d'intérêts, cette nouvelle fut la goutte qui a fait déborder le vase : Galeazzo Ciano, gendre de Mussolini et Ministre des Affaires Etrangères, note les paroles de Mussolini dans son journal à la date du 12 octobre 1940 :

Hitler me met toujours devant le fait accompli. Cette fois, je vais lui rendre la monnaie de sa pièce : il apprendra par les journaux que j'ai envahi la Grèce. Comme ça, l'équilibre sera rétabli.

A ce moment, Ciano estimait encore l'invasion de la Grèce "utile et facile à mettre en oeuvre", alors que Mussolini fanfaronnait :

Je donne ma démission comme Italien si quelqu'un a des difficultés à en découdre avec les Grecs.

A l'inverse, les militaires à Berlin étaient épouvantés du dilettantisme avec lequel cette campagne était planifiée : non seulement parce qu'elle partait d'une région montagneuse inhospitalière au début de l'hiver, mais aussi parce qu'Hitler, dans le cadre de la planification de la campagne de Russie, n'avait pas le moindre intérêt à ouvrir un nouveau front sur le flanc sud-est de l'Europe. Le dictateur allemand craignait en outre une intervention des Anglais, qui auraient pu profiter de l'aubaine pour installer des formations de bombardiers modernes sur l'île de Limnos en mer Egée et à Salonique. Depuis ces positions, ils auraient pu menacer les livraisons de pétrole en provenance de
Ploies¸ti en Roumanie, d'une importance décisive pour l'effort de guerre allemand.
En Grèce, une levée en masse spontanée contre l'agresseur s'est produite. Surtout les gynaikes tou pindou, les Femmes du Pindou, forcent l'admiration. Avec un grand sens du sacrifice, elles ont apporté une contribution essentielle à la garantie du ravitaillement sur le front montagneux et hivernal. Comme une année plus tôt en Finlande, la Grèce prouvait au monde « que même de petites nations peuvent remporter des succès contre les agresseurs totalitaires » : après quelques semaines déjà, la campagne risquait de dégénérer en débâcle pour l'armée italienne. Une armée hellénique dont la combativité et la disposition au sacrifice avaient été totalement sous-estimées par le commandement italien passait à la contre-offensive dès l'hiver 1940/1941, pour percer le front italien et même conquérir des territoires en Albanie. Dès le début décembre 1940, Mussolini a dû se rendre à la réalité militaire, puisque son Commandant en Chef en Albanie, le Général Soddu, estimait « toute [nouvelle] action militaire impossible ». Ainsi, le « Duce » se voyait contrait de demander le soutien d'Hitler, alors qu'il aurait préféré « se tirer une balle dans la tête », comme Ciano notait dans son journal.
Parce que le commandement militaire allemand ne pouvait tolérer une menace sur les ressources pétrolières roumaines par des forces alliées stationnées en Grèce, Hitler avait décidé dès la mi-décembre 1940 d'accéder à la demande de soutien de Mussolini. Sans déclaration de guerre, la Wehrmacht a envahi la Grèce et la Yougoslavie le dimanche des rameaux, le 6 avril 1941. Trois semaines plus tard, Athènes était occupée et le 30 avril, les troupes allemandes étaient à Kalamata, la pointe sud du Péloponnèse. Entre le 20 mai et le 1er juin, les troupes allemandes occupaient également l'île de Crête, stratégiquement importante, où les troupes du Commonwealth en déroute s'étaient réfugiées. La majeure partie de ces troupes a toutefois été retiré rapidement après la conquête du pays pour être disponible pour l'invasion de la Russie, planifiée pour le 21 juin. Seuls quelque 60.000 Allemands sont restés en Grèce. Au même moment, dans un élan de générosité, Hitler a libéré l'armée hellénique désarmée avec ses officiers et ses hommes. Les officiers grecs ont même pu garder leur revolver d'ordonnance, car « ils s'étaient engagés sur l'honneur à ne plus combattre les occupants allemands ou italiens ». Il devint très vite évident que cette décision était une erreur majeure des Allemands.
Après la fin de cette invasion parfaitement „idiote“ de la Grèce, „qui a retardé de six semaines la campagne de Russie et a entraîné dans sa suite la catastrophe hivernale devant Moscou », comme le disait Hitler peu avant la fin de la guerre, les Allemands ont cédé aux Italiens sans gloire la preponderanza en Grèce : sans tenir compte de la sensibilité de la population grecque, qui s'estimait vaincue par les Allemands mais non par l'armée italienne, Hitler concédait à Mussolini l'occupation de la majeure partie du territoire : 70 % du territoire passent sous contrôle italien. La Macedoine orientale et la Thrace, ces provinces fertiles, ont été concédées aux Bulgares en récompense de leur aide. La Bulgarie a aussitôt annexé ces territoires et les ont bulgarisées par des mesures brutales. Les Allemands victorieux se contentaient certes de 15 % seulement du territoire, mais il s'agissait de zones importantes du point de vue stratégique, comme la région autour des métropoles portuaires de Thessalonique et d'Athènes-Pirée – avec la ville d'Athènes sous domination italienne -, la bande de terre située à la frontière turque et quelques îles de la mer Egée, et surtout la partie occidentale de Crête.
Alors que les Allemands avaient perdu moins de mille hommes pendant la conquête de la Grèce continentale, leurs forces aéroportées se sont heurtées en Crête à une résistance inattendue. Les pertes allemandes se chiffraient à plus de 10.000 morts, disparus et blessés. Près de deux-tiers des 500 avions jetés dans la bataille étaient perdus. Les unités du Commonwealth, qui avaient percé le code Enigma des Allemands, avaient été prévenues de l'invasion et s'étaient préparées à l'invasion. De plus, une partie de la population crétoise avait spontanément rejoint les troupes alliées au combat. Une délégation de juristes spécialement dépêchée depuis Berlin avait documenté plus d'une centaine de déclarations de soldats portant sur des exactions commises non seulement par des Crétois, mais également par des soldats Maoris de Nouvelle-Zélande en violation de la Convention de La Haye sur la guerre terrestre. Pour maîtriser le soulèvement spontané, le Général d'Aviation Kurt Student, sur instruction du Feld-Maréchal Général Hermann Göring, a lancé le 31 mai 1941 son tristement célèbre « ordre de représailles » :
Il a été constaté de manière incontestable :
Que la population crétoise (y compris les femmes et les enfants) ont largement participé au combat direct,
qu'elle a en outre, par des francs-tireurs embusqués, tenté de détruire nos communications,
qu'elle a maltraité et torturé nos blessés,
qu'elle a assassiné de manière atroce des soldats prisonniers,
et qu'enfin, elle a même infligé des mutilations vindicatives et bestiales aux cadavres.
J'envisage d'intervenir avec une extrême fermeté (...).
(...) A titre de représailles, sont envisagées :
1. des exécutions
2. des contributions
3. l'incendie de localités
4. l'extermination de la population mâle de régions entières.

Toutes les mesures devront être mises en oeuvre sans délai, sans formalités et avec l'exclusion délibérée des tribunaux d'exception (...).

Les commandants de compagnie de grade inférieur avaient non seulement reçu l'autorité, mais aussi l'injonction, de venger la mort d'un camarade par l'exécution d'otages. En application de cet ordre contraire au droit international public, des douzaines de villages ont été détruits et des centaines de Crétois exécutés jusqu'à l'été 1941. A la fin de la guerre, 2.884 Crétois avaient été victimes de telles mesures.
Les réactions brutales de l'occupant ont poussé les Crétois à se réfugier dans les montagnes, où ils ont entamé la résistance armée comme Andartes, combattants de la liberté. La résistance crétoise a fait des émules sur le continent. Les premières attaques y étaient lancées, surtout contre les Italiens, abhorrés. Leur concéder deux-tiers du territoire et autoriser en outre une parade victorieuse à Athènes avait été une erreur psychologique lourde de conséquences du commandement allemand. Sans succès, des connaisseurs de la Grèce - qui ne pouvaient pas forcément être qualifiés de germanophiles - et des diplomates ont signalé à Berlin que l'entrée des Italiens à Athènes équivalait à une défaite politique de l'Allemagne. Ils craignaient un revirement de l'opinion en cas d'entrée des Italiens à Athènes. Ils jugeaient « insupportable » pour les Grecs de voir les « fratelli méprisés se pavaner en vainqueurs ». Mais les nombreux avertissements restèrent lettre morte ; Hitler avait besoin de ses troupes pour sa campagne de l'Est. De ce fait, il a pris son parti d'un affaiblissement considérable de la réputation de l'Allemagne et du gouvernement de collaboration mis en place par elle.
En regard de ce développement, il n'est pas surprenant qu'un acte de résistance à forte valeur symbolique soit posé dès la nuit du 31 mai 1941 : les étudiants Manolis Glezos et Apostolos Santas ont escaladé le rocher de l'Acropole à Athènes et ont descendu du mât le drapeau à croix gammée. La réaction ne se fit pas attendre : le couvre-feu fut renforcé et devait le rester pendant toute la durée de l'occupation.
Suite à cet "ordre de représailles" donné par Student, Hitler a décrété le 9 juin que l'écrasement des troubles intérieurs était la mission des commandants territoriaux. Ils se voyaient confier le pouvoir d'exécution et les zones allemandes ont été déclarées zone d'opération. Lors du soulèvement près de Drama, dans la zone d'occupation bulgare, au cours du même mois, les troupes bulgares sont intervenues avec la plus grande brutalité. « Au moins 4 à 5.000 Grecs ont été liquidés. » Au même moment, les Bulgares ont interrompu les habituelles livraisons vers le Sud en provenance des « greniers à blé » de la Grèce, la Thrace et la Macédoine orientale. En outre, à cause de la guerre, la récolte de l'été 1941 était sensiblement inférieure à la moyenne, et pour comble de malheur l'importation de denrées alimentaires était totalement interdite par suite d'un blocus de la zone maritime par la Royal Navy. Alors que le gouvernement britannique était d'avis que l'occupant était tenu, en vertu de la Convention de La Haye, d'assurer l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires, ces derniers y opposaient l'argument que le blocus maritime était contraire au droit public international. Les Italiens, en tant que puissance d'occupation, étaient certes responsables de l'approvisionnement de la population d'Athènes, mais n'étaient pas disposés ou en mesure d'honorer leurs obligations.
De plus, des responsables à Londres et au sein du gouvernement grec en exil estimaient cyniquement qu'il ne fallait pas concéder un assouplissement du blocus, parce que la faim poussait les Grecs à la rébellion. Ce n'est qu'après des protestations du gouvernement des USA que les Britanniques ont assoupli leur blocus et accepté une action d'aide de la Croix Rouge Internationale sous la direction de la Croix Rouge suédoise. Mais pour les nombreuses victimes de la pénurie, l'aide arriva trop tard.
Même des publications sérieuses citent régulièrement des chiffres oscillant entre 100.000 et 300.000 victimes pour la seule région d'Athènes. Mais ces chiffres sont exagérés. La vérité suffisait à l'horreur : selon des sources impartiales, près de 35.000 personnes seraient mortes de faim pendant l'hiver noir de 1941/1942 en Attique.
En regard de la situation désespérée que connaissait la population grecque, c'est le petit Parti Communiste Grec (KKE) qui a été la première formation politique à réagir. Sous la dictature de Metaxas en 1936, le parti avait choisi la clandestinité, où il a acquis une expérience précieuse dans la résistance clandestine. Le 1er juillet 1941, il a arrêté un « programme du front national unitaire » et le 27 septembre fut constitué le Front National de Libération (EAM) comme entité politique et, sous ses ordres, les unités combattantes de l'Armée Populaire de Libération Grecque (ELAS). Les premières structures militaires ne voient le jour qu'à partir de mai 1942, lorsque Thanasis Klaras, un enseignant de Lamia, s'est rendu dans les montagnes proches de sa ville d'origine pour y constituer avec quatre compagnons un premier groupe de résistance. Klaras a choisi comme nom de guerre Aris Velouchiotis, du nom du sommet le plus élevé de la vallée de Sperchios. Au fil de la guerre, il est devenu le Guerrilla Kapetanios le plus charismatique et le plus habile, un héros célébré par ses partisans, un criminel brutal pour ses opposants, d'autant qu'il se montrait aussi impitoyable envers ses compatriotes ne partageant pas ses vues que contre les occupants abhorrés.
Mais les mentalités ont changé non seulement au sein du KKE, mais également auprès des membres de l'ancien corps d'officiers grecs qui, après la campagne victorieuse de l'armée allemande, n'avaient pas été internés. L'ancien Colonel Napoleon Zervas a été l'un des premiers, dans sa province d'Epire, à organiser la résistance. Ce républicain avéré s'était vu refuser sous la dictature monarchiste de Metaxas la participation à la campagne d'Albanie contre l'Italie. A la fin août 1942, Zervas a été approvisionné pour la première fois par des avions britanniques venus d'Afrique du Nord, au moyen de parachutages de matériel de guerre destiné à équiper ses Andartes de l'EDES.
Ces vols étaient organisés par la Special Operations Executive (SOE) des services secrets britanniques, chargée des actions de sabotage et de guerre subversive, dont la centrale était établie au Caire. Lorsque vivait, à la même époque, la crainte que Rommel puisse avancer sur le front d'Afrique du Nord jusqu'au Canal de Suez, la SOE - qui supposait à tort que le ravitaillement de Rommel passerait principalement par le port du Pirée - décidait de saboter les voies de ravitaillement de l'ennemi en Europe du Sud-Est. C'est dans ce cadre que douze commandos de l'Armée du Commonwealth ont été parachutés en Grèce centrale entre fin septembre et octobre 1942. Leur mission consistait à faire sauter avec l'aide des résistants grecs l'un des trois viaducs ferroviaires au Sud de Lamia (Gorgopotamos, Asopos, Papadia) sur la ligne Thessalonique-Athènes, afin d'empêcher durablement le ravitaillement allemand.
Les dix volontaires étaient sous le commandement des Britanniques Eddy Myers et de son second, Chris Woodhouse. Mais à leur immense surprise, ils ne rencontrèrent aucun résistant. Ce n'est qu'après six semaines d'errance dans les montagnes hivernales qu'ils sont parvenus à établir le contact avec Zervas et à convaincre Aris de participer à l'assaut contre le pont de Gorgopotamos. Avec 150 Andartes d'EDES et d'ELAS, ils sont parvenus finalement à prendre par surprise le corps de garde italien et à faire sauter ce pont ferroviaire d'une longueur de 211 mètres. La ligne à une seule voie entre Athènes et le Nord de l'Europe fut ensuite coupée pendant six semaines. De ce fait, le ravitaillement principal vers le Sud de la Grèce dut se poursuivre difficilement par mer, parce que les routes étaient à peine praticables pour les camions lourds. Le ravitaillement allemand en fut certes gravement entravé, mais l'opération n'avait plus aucune influence sur la campagne d'Afrique du Nord, parce que Rommel avait déjà perdu à cette date la bataille décisive d'El Alamein.
Mais d'autre part, la nouvelle du succès de l'action a suscité un grand afflux de volontaires auprès des deux groupes de résistants. Pour mettre à profit ce potentiel de combattants, la SOE au Caire a décidé de ne pas retirer Myers et ses hommes de la Grèce occupée, mais de les charger de former les résistants, d'assurer leur paiement, d'élaborer des plans de mission et de coordonner des parachutages de matériel de guerre. En dix mois, la British Military Mission devait parvenir à constituer des groupes d'Andartes efficaces. Alors que les officiers de liaison britanniques n'étaient qu'une douzaine en Grèce à la fin de 1942, leur nombre devait passer à 199 en 1943 et à 246 en 1944. Sur 1.143 vols, 1.706 tonnes de matériel ont été parachutées en soutien des résistants.

Après la destruction du pont de Gorgopotamos, les Allemands avaient repris aux Italiens la surveillance de la ligne ferroviaire vitale vers Athènes. A la fin décembre 1942, le Général Major autrichien Alexander Löhr prenait le commandement du Groupe d'Armées E, dont le quartier-général était établi à Arsakli, l'actuelle Panorama, près de Thessalonique. Il était ainsi l'officier allemand le plus haut gradé en Grèce.
Dès mars 1942, Löhr avait édité des « Directives pour la lutte contre les rebelles », fondées expressément sur l'ordre donné le 16 septembre 1941 par le Feld-Maréchal Général Wilhelm Keitel, Chef du OKW, de tuer 100 otages pour chaque Allemand tué et 50 pour chaque Allemand blessé. Löhr écrivait alors : « Le soldat allemand fait face à un ennemi brutal, sournois et fourbe, qui ne recule devant aucun moyen ». Il en conclut que « le soldat allemand doit être encore plus fourbe et plus impitoyable » et « mettre en oeuvre tous les moyens conduisant au succès (...), afin de préserver l'ordre ». L'ordre précise en outre :

(…) Point de sensiblerie! Il est préférable de liquider 50 suspects que de voir périr un seul soldat allemand. (...) Les rebelles captifs seront pendus ou passés par les armes, de même que toutes les personnes qui les accompagnent, les soutiennent ou les ont soutenus. (...) Les localités à proximité desquelles des attaques, destructions, destructions par explosifs ou autres actes de sabotage ont eu lieu (...), devront être détruites. (...) Les localités dirigées par des communistes devront être détruites. Les hommes seront emmenés comme otages. (...) S'il est impossible de se saisir de ceux qui sont responsables à un quelconque degré de la rébellion, des actions de représailles de nature générale peuvent s'imposer, p.ex. l'exécution des habitants mâles des localités les plus proches selon une proportion donnée.

Lorsque, malgré ces mesures, les activités des partisans augmentèrent de façon continue pendant l'été 1942, Hitler édicta le 18 octobre un nouvel « ordre de représailles », l'ordre dit de commandement. Selon cet ordre, tous les ennemis, « même s'il s'agit visiblement de soldats en uniforme ou de troupes de destruction avec ou sans arme, au combat ou en fuite, seront éliminés jusqu'au dernier », ce qui signifiait une mort certaine pour les prisonniers.
Dix jours après qu'Hitler ait édicté cet ordre contraire au droit public international, Löhr formulait un ordre complémentaire applicable dans toute l'Europe du Sud-Est. Le Général Major estimait que les opérations de combat étaient terminées après la défaite des armées yougoslave et hellénique. Un nouveau combat soutenu par les commandos de sabotage britanniques et américains « constitue une violation manifeste des Conventions internationales de Genève ». Il convenait selon lui d'en tirer les conclusions suivantes :

En conséquence, les meneurs de ce combat - quelle que soit l'orientation à laquelle ils appartiennent - ne sont pas à considérer comme appartenant à une puissance armée (...). Cela s'applique non seulement à l'homme armé, mais également à toute personne dont il peut être démontré qu'il soutient activement ce combat. La reddition volontaire n'y change rien. Toutes les troupes ennemies doivent être éliminées en toute circonstance jusqu'au dernier homme. Ce n'est que lorsque chaque rebelle saura qu'il n'en sortira pas vivant que nous pourrons espérer que les troupes d'occupation se rendront maîtres de tout mouvement de rébellion. C'est un combat où tout est en jeu. Il n'y a pas de solution intermédiaire. Les notions telles que ‘l'héroïsme d'un peuple épris de liberté' et autres sont déplacées. Le précieux sang allemand est en cause. J'attends de tout officier qu'il veille par un engagement complet de sa personne à ce que les troupes exécutent cet ordre sans exception et avec une fermeté brutale. Je ferai examiner toute violation de cet ordre et les responsables seront impitoyablement appelés à rendre des comptes.

De ce fait, l'officier allemand était tenu de veiller à ce que ses soldats appliquent cet ordre "sans exception". Pour sauver le « précieux sang allemand », il fallait tuer « avec une fermeté brutale » tous les rebelles, peu importe qu'ils se soient rendus ou aient été faits prisonniers au combat. Le commandement italien n'avait certes pas l'habitude de consigner sur le papier des ordres aussi crus, mais les Italiens n'avaient pas plus de scrupules à « venger » la mort des membres de leur armée et à réduire en cendres des localités entières. Le totalitarisme allemand était sans doute à maints égards plus brutal que son pendant italien, mais les dirigeants italiens n'en étaient pas moins prêts à toutes les extrémités.

Dans ce contexte, il nous faut aborder aussi le sort des juifs grecs. Dès la mi-juillet 1941, le Commando Rosenberg est arrivé en Grèce et a confisqué les immenses bibliothèques et le patrimoine artistique de la communauté juive. Un an plus tard, les premiers Juifs étaient mis aux travaux forcés près de Thessalonique. Les conditions de travail étaient à ce point inhumaines que la mortalité atteignait 12% après 2 mois et demi. Le Ministre-Président de collaboration grec, Logothetopoulos, a protesté massivement, entraînant sa chute. Au début février 1943, les mesures classiques des lois raciales de Nuremberg étaient mises en oeuvre : identification, ghettoïsation, isolement, recensement du patrimoine et des personnes, etc. A la mi-mars, les premiers transports vers Auschwitz ont commencé et se sont poursuivis jusqu'au 1er juin, lorsque finalement l'élite dirigeante juive était également déportée. Des 72.000 deportés environs 11.000 ont survecu l'Holocaust. Environs 90% des membres de la communauté juive de Thessalonique ont perdu la vie. Ce nombre élevé s'explique par l'isolement social des Juifs de Thessalonique, la grande cohésion des familles et sans doute aussi les assurances apaisantes du Rabbin Dr. Koretz, alors que des efforts visant à sauver des Juifs étaient menés surtout par l'Archevêque Damaskinos d'Athènes, les Ministres-Présidents Logothetopoulos et Rallis, le CICR, des officiers des forces d'occupation italiennes, des organisations professionnelles d'avocats, des enseignants, et même des services diplomatiques allemands.
Après le changement de camp des Italiens en septembre 1943, les SS ont également déporté les Juifs des territoires occupés jusque là par les Italiens. Même si certains d'entre eux ont pu se cacher et ont été accueillis par la Résistance, nous devons malgré tout constater que les Juifs Grecs, avec environs 85 %, ont payé le deuxième tribut le plus lourd après les Juifs de Pologne, massacrés à 90%.

Mais revenons au début 1943: suite à la défaite de l'Axe en Afrique du Nord, les Alliés avaient, pendant les seuls mois de février et mars, stationné en Afrique du Nord 85.000 Américains et 72.000 Anglais. Sans subir la moindre gêne par les troupes de l'Axe, ces hommes étaient équipés du matériel de guerre le plus moderne et disposaient de suffisamment de capacité de transport maritime pour l'invasion du continent.
La Grèce était particulièrement menacée, puisqu'elle était occupée à 70 % par les troupes italiennes. La direction de la Wehrmacht recevait régulièrement des nouvelles alarmantes sur l'état de désolation des troupes italiennes, qui ne suscitait que « mépris » auprès des Grecs. A Thessalonique, Löhr se plaignait des « exactions quotidiennes des Italiens envers la population hellénique, par des rapines, pillages et mauvais traitements, poussant ainsi des localités entières dans le camp des rebelles ». En effet, les rebelles grecs étaient parvenus au printemps 1943 à repousser les troupes italiennes vers ses bases et dans les grandes villes.
Pour lutter contre cette situation, Löhr avait décidé d'insérer des « baleines de corset » dans le territoire occupé par les Italiens, en d'autres termes de disposer des unités allemandes aux endroits stratégiques, afin d'exercer une plus grande influence sur la lutte contre la Résistance et pour être en mesure de reprendre le pouvoir au moment critique, en cas de capitulation italienne, pour pouvoir désarmer les Italiens. Cette prise de pouvoir progressive des Allemands dans la zone d'occupation italienne coïncidait avec la décision de la direction du KKE et de l'EAM à Athènes de s'attaquer aussi systématiquement aux troupes allemandes : le jour de la fête nationale de la Grèce, le 25 mars 1943, Tasos Levterias, membre du KKE et d'ELAS, proclamait, dans le village de Marmara dans les montagnes de Roumeli devant les dirigeants réunis des Andartes, l'escalade sous forme d'ultimatum.
Peu après, les Alliés réussissaient une manœuvre de diversion géniale : à la fin avril 1943, des pêcheurs espagnols avaient repêché un corps flottant au large de Cadiz. Le mort portait un uniforme d'aviateur anglais. Une pochette était attachée à sa main gauche, dans laquelle se trouvait de la correspondance privée, des passeports, un porte-monnaie et d'autres objets personnels, ainsi qu'une lettre au contenu explosif. Les documents faisaient apparaître que l'invasion de la Grèce était planifiée près de Kalamata et d'Araxos dans le Péloponnèse. Les Espagnols, sympathisants des Allemands, permirent à des responsables de l'Ambassade d'Allemagne de consulter les documents avant leur remise à l'attaché de la Marine britannique à Madrid le 13 mai. Les Britanniques constatèrent à leur grande satisfaction, après des examens médico-légaux, que les enveloppes avaient été ouvertes et les documents lus.
Du côté allemand, les messages étaient transmis à Berlin. Une analyse des documents établie le 14 mai montre clairement que « l'authenticité des documents ne fait aucun doute ».
La manœuvre de diversion était accompagnée d'une opération britannique en Grèce sous le nom de code Animals. Les deux dirigeants de la mission, Myers et Woodhouse, savaient certes qu'une invasion de la Grèce n'était pas envisagée, mais ils avaient fait miroiter le contraire au Kapetan de l'ELAS Aris Velouchiotis et au Commandant de l'EDES, Napoleon Zervas : alors que Myers s'occupait surtout d'ELAS, Woodhouse servait d'officier de liaison auprès d'EDES. Les deux organisations de résistance ont mobilisé, selon les estimations allemandes, quelque 10.000 hommes, qui ont pris des risques personnels énormes et faisaient preuve d'une grande volonté d'en découdre - puisqu'ils attendaient la libération de leur pays dans les semaines suivantes - pour détruire sous la direction d'officiers britanniques des douzaines d'installations de communication, de routes, ponts, « entreprises militaires » et autres. Ainsi, des Andartes de l'ELAS ont fait sauter une charge dans le tunnel ferroviaire de Nezeros au début juin, au passage d'un transport de la Wehrmacht. Du point de vue militaire, l'attentat était parfaitement dénué de sens, parce que le tunnel était à nouveau opérationnel deux jours plus tard. Mais dans l'enfer qui s'ensuivit, « 200 à 300 soldats italiens et sept Allemands » ont péri. A titre de « représailles », les soldats italiens ont exécuté 118 civils à la sortie du tunnel.
Le 21 juin, les Britanniques ont ainsi réussi l'une des opérations de commando les plus spectaculaires de la Deuxième Guerre Mondiale en détruisant aux explosifs le pont d'Asopos sur le tronçon ferroviaire à une seule voie entre Thessalonique et Athènes. A nouveau, le ravitaillement allemand était durement touché. La reconstruction du viaduc devait durer près de deux mois.
Ce même jour, l'ELAS réussissait également son entreprise la plus marquante de la guerre: dans la passe de Saratoporon près de Kozani, elle mena une attaque contre une colonne de camions allemands. 82 camions furent détruits, et l'avancée allemande vers le Péloponnèse était à nouveau sensiblement ralentie. Les Allemands déploraient 99 morts, dont 77 assassinés après avoir été faits prisonniers.
La réaction d'Hitler aux opérations "Mincemeat" et "Animals" était conforme aux espoirs des Alliés: il ordonna « d'accélérer » le déplacement de cinq divisions supplémentaires vers la Grèce. Au total, 100.000 hommes supplémentaires étaient retirés d'Allemagne, de France, de Yougoslavie, de Bulgarie et du Front de l'Est.

Les cinq divisions devaient être positionnées exclusivement dans le Péloponnèse et sur la côte Ouest de la Grèce, où le débarquement ennemi était attendu. Nous consacrerons notre attention surtout sur deux de ces divisions, qui sont restées en Grèce jusqu'à la retraite des troupes allemandes en octobre 1944. Il s'agit d'une part de la 117ème division de chasseurs, engagée dans le Péloponnèse, et d'autre part de la 1ère division de montagne, stationnée en Epire.
La 117ème division de chasseurs avait été crée à Vienne au printemps 1941, puis déplacée vers la Serbie, initialement pour y assumer des missions de sécurité. Mais elle y fut immédiatement engagée dans des combats avec les partisans et fut l'une des unités qui avaient exécuté sans pitié le tristement célèbre ordre de Keitel du 16 septembre 1941 - selon lequel il fallait exécuter 100 otages pour chaque Allemand tué et 50 pour chaque Allemand blessé. En Grèce, la Division était subordonnée au LXVIIIème corps d'armée sous les ordres du Général d'Aviation Hellmuth Felmy, caserné à Athènes. Lorsqu'elle arrivait dans le Péloponnèse, elle fut immédiatement engagée dans le combat avec les unités de l'ELAS, dirigées par un ancien officier de l'armée de l'air hellénique, Dimitrios Michos. Felmy réagit aux attaques des partisans en édictant en juin son tristement célèbre « Ordre de Carthage » :

(...) Après d'éventuels actions de sabotage ou attentats contre des soldats allemands, des installations de la Wehrmacht allemande (...), des représailles sévères devront être exercées (...).
Les représailles doivent intervenir rapidement et publiquement. Les représailles doivent être fixées par les Commandants de Division. Selon la gravité des actes à venger, les mesures suivantes doivent être adoptées :
Les auteurs convaincus d'actes de sabotage doivent être conduits dans leur district d'origine et pendus publiquement.
Une sévérité impitoyable sera appliquée à l'encontre des membres de la famille. Le cas échéant, tous les membres mâles de la famille seront exterminés. Les localités pouvant servir de refuge aux bandes devront être détruites. La population mâle, si elle n'est pas exécutée pour participation ou soutien aux activités des bandes, devra être arrêtée en totalité et livrée au service du travail. (...)
Tout scrupule sera considéré comme une faiblesse et coûte du sang allemand !

L'Italie a capitulé le 9 septembre. Les quelque 250.000 soldats italiens ont été retirés de Grèce en quelques jours et le vide qui s'ensuivit n'a pas été comblé par des troupes allemandes supplémentaires. Les organisations de la Résistance ont interprété ce fait comme le signe que le retrait des troupes allemandes était imminent. Dès lors, des combats s'engagèrent dans le Péloponnèse entre ELAS et un groupe de résistants de droite, l'ES - constituée d'officiers fidèles au Roi de l'ancienne armée hellénique : il s'agissait de déterminer lequel d'entre eux détiendrait le pouvoir en Grèce après le retrait des Allemands. Toutefois, l'ES était désespérément désavantagée contre l'ELAS, d'autant que les Britanniques avaient refusé de les fournir en armes. Cette politique des Britanniques eut pour conséquence que l'ES fut décimée par l'ELAS en quelques semaines seulement. Les rares officiers survivants se tournèrent alors vers les Allemands pour demander leur aide : dès décembre 1943, les premières unités de collaboration furent constituées sous la direction du Colonel Dionysios Papadongonas. Les bataillons dits de sécurité, les Tagmata Asfaleias, s'en prirent à l'ELAS avec les moyens les plus brutaux. La base était donc jetée pour la guerre civile qui ne prit fin qu'en 1949 par l'intervention des Américains.
Mais ce n'est pas tout: lorsque les attentats de l'ELAS contre les Allemands s'intensifièrent après le départ des troupes italiennes, le Commandant de la 117ème division de chasseurs, le Général Major Karl von Le Suire, décida des représailles : lorsqu'une compagnie de soldats allemands fut capturée par l'ELAS en octobre, et que six semaines de négociations n'aboutirent pas à un accord sur un échange de prisonniers, Le Suire mit en oeuvre au début décembre « l'opération Kalavryta » dans le but de libérer les prisonniers. Toutefois, ces derniers avaient été exécutés peu avant la libération par l'ELAS, et Le Suire ordonna « à titre de représailles immédiates, l'exécution de la population mâle et l'incendie des localités ». Quelque 50 localités furent détruites et au moins 681 hommes exécutés. Dans la seule localité de Kalavryta, 471 hommes furent exécutés.
Au total, l'occupation allemande du Péloponnèse fut marquée par 28 actions de représailles de ce type : au moins 2.319 otages grecs furent pendus ou abattus. Leur mort devait venger au moins 300 morts, 70 disparus et 40 blessés dans les rangs allemands.

Date

Nombre de
»morts en représailles«

Motif / lieu
Victimes allemandes
Morts Disparus Blessés

6.11.43
24.11.43
26.11.43

2.12.43
5.12.43
7.12.43
5.-
16.12.43
16.12.43
22.12.43
15.1.44
17.1.44
7.2.44
9.2.44
23.2.44
23.2.44
25.2.44

21.3.44
22.3.44

22.4.44

3.5.44


Début 5.44



9.5.44

16.5.44

16.5.44

17.5.44


6.6.44

23.7.44

5.8.44

18
20
118

58
48
25
681
au moins
30
13
10
20
100
149
30
50
205

5
141

12

60


335



10

27

10

17


9

100

18

Attaque d'une patrouille de garde près d'Isari
Attaque de voiture
Attaque de colonnes de camions sur les routes
Trioplis-Sparte et Sparte-Gythion
Attaque de camions à l'Est d'Aigion
Attaque de la gare d'Andritsa
Attaque de camions, route Gythion-Areopolis
Opérations »Kalawrita«, »Büffel« et
»Stieglitz«
Attaque route Tripolis-Sparte
Attaque près de Molai
Meurtre d'un adjudant allemand
Attaque d'un officier allemand
Attaque près de Skala
Kalamata
Patras
Meurtre d'un interprète grec
Attaque d'une colonne de camions de
permissionnaires près de Tripolis
Attentat ferroviaire à Theodori
Attaque d'une colonne de camions
près d'Alepochori
»Communistes« abattus pour 1
officier de Gendarmerie grec
»50 communistes abattus et 10
pendus pour sabotage ferroviaire près
de Chani-Derveni«
»Communistes et terroristes présumés
« pour le Général Krech et autres,
abattus à Athènes et sur le lieu des faits
par des Allemands et des Grecs
»otages pour 2 fusiliers marins
blessés « pendus à Patras
Pour le meurtre d'un Commandant
grec à Kalamata
Pour »enlèvement/meurtre « des
effectifs grecs de Valtetsi
Pendus pour »sabotage de pylônes de
téléphone sur la route Kamari-Derveni
(NO Xylokastron) «
Meurtre d'un Lieutenant de
Gendarmerie grec
Attaque d'une colonne médicale allemande
près de Vlacherna, Tripolis
»Sabotage ferroviaire« sur un train
de marchandises Chiliomodion/ Corinthe
1
1
8

2
10
10
78

12
?
1
1
10
?
?
1
15

?
18

1

?


4



-

1

80

-


1

35

-

1
1
9

-
-
-
-

-
?
-
-
1
?
?
-
7

?
44

-

?


5



-

-

-

-


-

-

-
-
1
22

-
4
-
-

6
6
-
-
-
?
?
-
-

?
-

-

?


-



2

-

-

-


-

-

-

En Epire, la 1ère Division de Montagne sous le Général Major Walter Stettner et la 104ème Division de Chasseurs sous le Général Major Hartwig von Ludwiger étaient placées sous le commandement du XXIIème Corps d'Armée de Montagne et du Général des Chasseurs Alpins Hubert Lanz, avec quartier général à Ioannina.
Surtout la 1ère Division de Montagne avait la réputation d'une Division d'élite. Elle avait combattu en Pologne, en France et en Yougoslavie. Au début de la campagne de Russie, la Division était commandée par Lanz, qui la conduisit sur une route de 5.000 km jusque dans le Caucase. Il était considéré comme l'un des officiers les plus capables de la Wehrmacht. Alors que les pertes totales de la Division pendant les campagnes de Pologne, de France et de Yougoslavie avaient atteint 3.200 hommes, elle perdit 13.227 hommes en Russie jusqu'à la fin décembre 1942, auxquels s'ajoutèrent des pertes élevées par la maladie, la faim et le froid. La plupart des officiers partis en guerre étaient morts vers la fin 1942. De plus, Lanz fut remplacé par Stettner et la Division complètement épuisée fut déplacée en Serbie et Monténégro au début de 1943 pour « remise à niveau ».
Au lieu de pouvoir se reposer dans les Balkans, les soldats étaient confrontés à des combats de partisans. Outrés par les méthodes de combat sournoises des partisans, rendus brutaux et insensibles par la confrontation quotidienne avec la mort et la souffrance, le seuil moral des survivants des combats à l'Est était à ce point abaissé qu'ils exécutaient sans discuter des ordres criminels : les partisans capturés étaient le plus souvent abattus sur place, les villages situés à proximité réduits en cendres, les villageois terrorisés. Lorsque la division quitta le Monténégro vers la Grèce le 17 juin 1943, Stettner salua « les performances (...). Au moins 10.000 » personnes y ont été tuées, dit le Général: « le tableau de chasse est impressionnant ».
Lorsque la Division arrivé en Epire, seules les villes de garnison étaient encore contrôlées par les Italiens : le pays à l'Ouest du fleuve Arachthos était sous le contrôle des Andartes du mouvement de droite EDES, alors qu'à l'Est les troupes d'occupation devaient en découdre avec les unités de gauche de l'ELAS. Le Général Renzo D'Almazzo, Commandant en Chef de la 9ème Armée italienne en Albanie, attira l'attention de Stettner sur le fait que « la principale mission est d'assainir la zone de bandits des montagnes de Pindos et des régions limitrophes ». L'Italien qualifiait globalement « toute la population mâle de cette région de bandits » et considérait que « la seule possibilité d'une libération du pays réside dans l'arrestation de tous les habitants mâles ». L'Epire comptait alors quelque 330.000 habitants. La réalisation de la proposition de D'Almazzo n'était donc guère réaliste.
Au lieu de cela, surtout le 98ème Régiment de la 1ère Division de Montagne, dirigée par le Lieutenant-Colonel Josef Salminger, menait des opérations de nettoyage principalement le long de l'axe routier principal reliant Preveza à Korca en Albanie en passant par Ioannina. L'ordre était :

Tout habitant mâle rencontré l'arme à la main ou à proximité de bandes sera abattu.

Le 98ème régiment de Salminger a donc, au cours du premier mois de son stationnement en Epire, détruit plus de 30 localités et tué 277 personnes - la plupart des civils. Le seul 25 juillet, dans le village de Mousiotitsa, 153 hommes, femmes et enfants âgés de 1 à 75 ans ont été massacrés.
L'étendue de l'interprétation de cet ordre dans les semaines suivantes est révélée par le massacre de la population du village de Kommeno le 16 août. Sous la direction du Commandant Reinhold Klebe, Commandant du IIIème bataillon, 317 civils étaient assassinés. 97 avaient moins de 15 ans, 13 étaient âgés d'un an. Selon les témoignages concordants de Grecs survivants, d'un soldat italien et de membres de la 12ème Compagnie, ces meurtres se sont accompagnés d'exactions sadiques.
Le soir, Klebe écrit à sa femme : « Je ne voudrais pas quitter cette vie sans avoir des enfants ». A la Division, il communique : « Tableau de chasse : environ 150 civils ». Le lendemain, la Division signale à ses supérieurs à Athènes : « 150 bandits tués », présentant ainsi cet acte criminel comme un acte de guerre légal. A Athènes, l'auteur du registre de guerre, le Lieutenant Kurt Waldheim - qui deviendra plus tard Secrétaire général des Nations Unies et Président fédéral de l'Autriche – manipule définitivement le rapport. Il écrit : « Dans la région de la 1ère Div. Mont. Localité Kommeno (...), rencontré vive résistance ennemie. Pertes ennemies. »
Aucun de ces hommes n'a eu à répondre de ses actes après la guerre.

Lorsque, après le 9 septembre, les troupes italiennes de la Division "Acqui" sur l'île de Céphalonie n'ont pas déposé les armes, malgré les longues négociations avec Lanz, et ont attaqué les troupes de la Wehrmacht et tué 139 Allemands, Hitler a ordonné le 18 septembre de « ne pas faire de prisonniers italiens à cause du comportement ignoble et traître sur Céphalonie ». En quelques jours, les Allemands ont conquis l'île. Les mêmes hommes commandés par Klebe qui avaient commis le massacre de Kommeno, ont aussi exécuté sans pitié l'ordre d'Hitler et commis sans doute le pire crime de la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre Mondiale : quelque 4.500 Italiens étaient massacrés. La quasi-totalité des 525 officiers de la Division « Acqui » étaient abattus. Lors du transport des 5.000 prisonniers restants, le navire a heurté une mine, probablement d'origine britannique ou italienne : 1.400 hommes de la Division « Acqui » ont perdu la vie dans le naufrage.

Klebe n'a jamais eu à répondre de ses actes criminels à Kommeno et sur Céphalonie, au contraire : il a rejoint la Bundeswehr en 1956 et a reconstitué la 1ère Division de Montagne.
Lorsque les troupes retournèrent sur le continent à la fin septembre, elles eurent à combattre les Andartes de l'EDES dans la passe de Scala et perdirent 6 hommes. En représailles, Stettner fit abattre tous les notables de la localité de Paramythiá. Il s'agit de 49 médecins, enseignants, prêtres, fonctionnaires, artisans et commerçants. Le lendemain, Salminger perdit la vie dans une embuscade tendue par l'EDES, et Lanz laissa libre cours à sa colère en ordonnant :

Je suis confiant que la 1ère Division de Montagne vengera ce meurtre infâme de nos meilleurs Commandants par des représailles sans merci (...).

Au cours des jours suivants, bien plus de 200 Grecs ont payé le meurtre de Salminger de leur vie, plus de 20 localités dans la région d'Ammotopos étaient réduites en cendres. Le village de Lyngiades, comptant 400 habitants, fut également réduit en cendres. 87 personnes y furent assassinées. Parmi elles, des bébés de moins d'un an et des nonagénaires.

Ce n'est qu'après ces exactions qu'un accord de cessez-le-feu fut conclu entre le chef de l'EDES, Napoleon Zervas, et Lanz: cette phase de relative accalmie dura jusqu'à l'été 1944.

Les pertes allemandes directes pendant l'occupation peuvent ainsi être attribuées presque exclusivement à l'ELAS. Elles se chiffraient à près de 6.000 hommes, contre environ 35.000 pertes grecques au combat et lors d'actions de vengeance et de représailles. Lors du départ des troupes allemandes à la mi-octobre 1944, les localités le long des routes principales et des lignes de chemin de fer étaient dépeuplées et en partie détruites. Plus de 1000 villages étaient partiellement ou totalement détruits. Environ 1.2 million de personnes - environ 18 % de la population totale - étaient sans domicile.

Les destructions peuvent être attribuées presque exclusivement à des unités de la Wehrmacht. La SS n'avait que quelques petites unités stationnées en Grèce. La 2ième compagnie du SS Panzer Grenadier Regiment 7 cependant commettait des massacres à Klissoura et Distomo: Lors d'une attaque par les partisans non loin de ces villages, ce régiment massacrait 215 civiles á Klissoura en date du 5 avril 1944, en majorité des femmes et des enfants. A Distomo 218 personnes - du nourrisson de 2 ans au vieillard de 80 ans - étaient massacrées.

Après la guerre, Löhr et Ludwiger ont été jugés en Yougoslavie et exécutés. Lanz et Felmy ont été condamnés au « Procès général Sud-Est » de Nuremberg par des juges americains à respectivement 12 et 15 ans de prison, mais libérés après 3 ans dans le cadre d'une mesure d'amnistie. Les quatre généraux furent les seuls à devoir répondre des crimes de guerre commis en Grèce.
A la fin des années 50, les premières procédures d'enquête ont eu lieu en Allemagne sur la base de dénonciations venues de Grèce. A ce jour, plus de 300 cas ont fait l'objet d'investigations parfois très fouillées, mais aucune mise en accusation n'est intervenue : alors que les juges américains avaient encore qualifié les actions de représailles comme « de l'assassinat pur et simple », le procureur allemand a suspendu toutes les procédures au motif que les représailles devaient être considérées comme admissibles au titre de la Convention de La Haye sur la guerre terrestre : les partisans n'ont pas de statut de combattant, leurs actions devaient par conséquent être considérées comme contraires au droit public international et les représailles étaient légales.
Mais la communauté internationale a malgré tout tiré un enseignement des massacres de milliers d'otages de représailles : le 12 août 1949, l'article 33 de la Convention de Genève déclarait inadmissible toute action de représailles contre la population civile.
Pour les proches des victimes grecques, c'est une maigre consolation. Le résultat est que des milliers de civils grecs ont été abattus, brûlés, pendus ou battus à mort dans des centaines de localités, sans que quiconque ait à en répondre. Lorsque le Président allemand Johannes Rau rendait hommage aux victimes des massacres à Kalavryta en décembre 2000, il dit : « Je ressens en ce lieu une profonde tristesse et une grande honte ». Son geste fut tardif, mais non moins nécessaire.







© H.F. Meyer 2007 |